En ce 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, nous nous sommes penchées sur la question de la violence faite aux femmes dans les chansons francophones. Pour cette analyse, nous avons égrainé trois textes écrits et composés à des époques différentes : Requiem four un fou, Si j’étais un homme, N’insiste pas.
Requiem pour un fou : chronique imaginaire d’un féminicide
C’est un des plus grands hits du défunt chanteur, avec une hausse des ventes de 500,000
exemplaires rien qu’en 2017, année de sa disparition. Sorti en 1976 sur l’album Derrière l’amour,
ce titre est encore très apprécié du grand public, notamment en France. Depuis début novembre,
David Hallyday, fils de l’artiste, fait la promotion de son nouvel album dont le titre est homonyme à la chanson de 1976. Cet album titre et ladite chanson sont actuellement dénoncés par un collectif féministe, rapporte la Voix du Nord, estimant que Requiem pour un fou « poétise le féminicide ». Cet évènement en rappelle un autre dans l’émission du 25 octobre 2021 de N’oubliez pas les paroles qui avait déjà suscité le débat autour de cette chanson.
Quelle histoire ces paroles racontent-elles ? Comme l’explique Jean-William Thoury dans son
Dictionnaire des chansons de Johnny Hallyday (2002) : «[Gilles Thibaut, ndlr : l’auteur], eut l’idée
de cet étrange requiem pour un homme acculé par les forces de l’ordre. Fou d’amour il a tué sa
femme afin de la garder. Au petit matin, le forcené sait qu’il va être abattu : il meurt d’amour ! ». Intention qui se révèle à la fin du premier couplet :
Justifiant son acte criminel par sa folie sous prétexte d’amour et de possession. Dans sa chronique Ces chansons qui font l’actu sur France Inter, Bertrand Dicale conclut que « le pire poison de la violence faite aux femmes, c’est que les hommes violents soient considérés comme des victimes de l’amour et donc des femmes. Mais cela fait parfois des chansons émouvantes ». Musicalement, cette dernière phrase du chant est construite sur un mélisme (ndlr : syllabe tenue sur plusieurs notes) qui est rendu possible par le point d’orgue (note tenue sur une durée variable et aléatoire) sur le plan rythmique. Était-ce voulu par le compositeur Gérard Layani ? Provoquant une tension mélodique et harmonique avant la fin du morceau. Cette tension est résolue par la fin de phrase musicale et celle du chant, supposé être l’exécution de l’homme pourchassé par la police.
Une performance emblématique au Stade de France
Préformée avec Lara Fabian et enregistrée sur l’album Johnny Hallyday Stade de France 98, cette
version reprend Requiem pour un fou de manière orchestrale et avec beaucoup de puissance vocale entre les deux artistes. Il y a une introduction avec un chœur avant le premier couplet. Cette partie musicale n’est pas sans rappeler la fonction première d’un requiem [ndlr : de la phrase latine « requiem aeternam dona eis » pour « donne-lui/leur le repos éternel ». Provenant du nominatif de requies ; repos.]. Il puise son origine dans la liturgie chrétienne. Le requiem est la mise en musique, en plusieurs parties, de la messe d’une personne décédée.
Dans la version originale de Requiem pour un fou, ce requiem est dédié l’homme qui a tué et non à sa victime. Avec ce binôme, cette distinction n’est pas claire puisqu’à la fin du deuxième couplet,
Lara Fabian chante : « Si vous me laissez cette nuit ; À l’aube je vous donnerai ma vie ; A quoi me
servirait ma vie sans lui. Lara Fabian parle également au féminin : « Je vais ouvrir grand les volets ; Crevez-moi le cœur je suis prête; Je veux m’endormir pour toujours [ndlr : pour toujours ; au lieu de près d’elle dans la version originale]. Johnny Hallyday et Lara Fabian se répondent en écho : « Je ne suis qu’un fou ; Tu n’es qu’un fou ; Un fou d’amour ; Oh d’amour : Qui meurt d’amour ». Ce « tu » laisse entendre que sa victime lui réponde avant d’enchaîner sur le point d’orgue musical.
Si j’étais un homme : l’effet miroir des violences de genre
Chilla est le pseudonyme scénique de Maréva Ranarivelo qui est une rappeuse franco-malgache.
Elle est active sur la scène rap francophone et violoniste de formation au Conservatoire d’Annecy
en Suisse. C’est en novembre 2017, en pleine effervescence du mouvement #MeToo à la suite de
l’affaire Weinstein, que l’interprète et auteure sort son premier album Karma sur lequel figure Si
j’étais un homme, à l’âge de 23 ans. Son album comporte d’autres textes engagés contre le sexisme et la violence conjugale.
La musique comme réponse à la critique
Pourtant, Chilla ne se définit pas comme féministe mais humaniste, elle a expliqué à Laurent
Ruquier dans #ONPC en 2018 : « Mon intention à la base, c’est de faire de la musique et d’écrire
sur des choses qui me concernent et qui me touchent. Je n’ai pas la prétention d’être le porte-parole de qui que ce soit ». Face aux critiques virulentes reçues sur le net, Chilla ne pouvait pas se résoudre à les ignorer. Elle a décidé d’y répondre en musique et dans son écriture. Des compositions telles que Si j’étais un homme sont mises en image par le producteur Tefa (La Clinique, Kery James, Fianso) et chorégraphiée par Sabrina Lontis. Dans une interview de Konbini en 2019, elle a mesuré la chance d’avoir travaillé avec un tel producteur et d’avoir été bien entourée: « Non, bizarrement, je me sens très entourée […] et pas trop seule [ndlr : dans le milieu du rap] et puis il y a vraiment plus de femmes que l’on imagine. Je pense juste qu’il y en a plein qui décide de les ignorer ».
« Si j’étais un homme, si on inversait les rôles; Je soulèverai ta robe, garderais-tu le contrôle ? »
Avec des paroles explicites sur la gradation de la violence ancrée dans un rythme carré, en place sur les tempi, quand celle-ci explose : « Moi, je regarderai le foot; Toi tu feras la vaisselle; Je t’enverrai bien te faire foutre quand tu me feras une scène ». Des paroles qui dépeignent, tout au long de la chanson, les nombreuses violences physiques, émotionnelles, financières et sexuelles que peut subir une femme dans un couple hétéronormé. Par exemple : « Je te ferai des promesses que je ne saurai tenir; Te couvrirais de coups juste pour te retenir ». Via l’écriture, Chilla renverse les rôles pour susciter une prise de conscience, un choc, une réaction ? « Si j’étais un homme, si on inversait les rôles; Je soulèverai ta robe, garderais-tu le contrôle ? » Le dernier couplet dresse un portrait davantage flatteur de certains hommes aux rôles archétypes masculins comme le père, le frère, tout en concluant que le personnage féminin ou Chilla elle-même, ne l’est pas. La dynamique verbale sort de la confrontation qui a animé le début texte: « Aveuglée, j’ai oublié celui qui prend soin de sa mère; Je retiens celui qui se conduit comme un gentleman; Il y a des hommes de valeur, de cœur, des hommes fiers; L’ami, le bon mari, le frère et le père». Donnant l’interprétation de la conclusion ouverte à l’auditeur et de l’auditrice.
Imaginée par Coolax, la ligne mélodique signe l’identité musicale tout au long du morceau
(introduction, refrains, conclusion). Elle est supportée par une harmonie et un accompagnement
également carrés, c-est-à-dire attendus par rapport à l’écriture musicale tonale. Ceci est
caractéristique du genre musical qu’est le rap, comme le texte doit être mis en avant.
N’insiste pas : la force dire stop face à la violence et à l’emprise
Cette chanson piano-voix composée en mode mineur, par Yaacov & Meir Salah et écrite par
Camille Lellouche, elle-même victime de violences conjugales. Le clip officiel et l’enregistrement
audio proviennent la même source sonore. On peut voir et ressentir que la chanteuse est prise par l’émotion et les pleurs rien qu’à l’évocation du titre, avant de commencer à chanter. Le titre a été édité sur l’album A sorti en 2021 alors que l’enregistrement du clip a été réalisé en octobre 2020. Il est introduit par un extrait rédigé par le poète latin Tibulle dans le recueil Elégie I, 10. Cette citation parle d’une scène de violence envers une femme, envers Vénus, déesse de toutes les femmes :
« Mais alors s’allument les guerres de Vénus, et la femme éclate en plaintes contre celui qui lui a arraché les cheveux et brisé sa porte. Les pleurs arrosent ses tendres joues meurtries; mais le vainqueur lui-même pleure du beau triomphe de ses mains démentes ».
(Trad., remacle.org/)
Camille Lellouche raconte l’emprise de laquelle elle s’est libérée, non sans blessures. Elle y raconte
les actes de violences et de manipulations psychologiques subies d’une ancienne relation et qui l’a détruite, probablement inspirés de son vécu personnel :
Le répertoire sur la thématique de plus en plus grand
D’autres artistes ont saisi la plume pour écrire sur la question des violences faites aux femmes :
- Douce maison d’Anne Sylvestre (1978)
- Coeur de Carla Luciani (2021),
- Tempête d’Angèle (2021),
- Dis-moi maman, est-ce que ça va ? de Grégoire (2021)
- Mauvais Garçon d’Héléna Bailly (2024) et cette liste est loin d’être exhaustive.
Les féminicides tuent quotidiennement à travers le monde, dans une réalité qui dépasse la fiction.
Selon le blog stopfeminicide, 21 femmes ont perdu la vie sous les coups de leur ex-partenaire ou un membre de leur famille en 2024, . Depuis 2021, la Belgique a été un des premiers pays à légiférer contre ce type de crime.
Vous êtes victime de violences ? Ligne d’écoute : 0800/300/30.